Pourquoi la déclaration de l’état d’urgence à Rivers soulève-t-elle des inquiétudes sur la démocratie et la sécurité au Nigeria ?


**Nigeria : L’État d’urgence en Rivers, un tournant historique ou un coup de force ?**

Le Nigeria, pays doté d’une richesse pétrolière inestimable, se trouve à un carrefour critique en raison d’une crise politique qui a conduit à la déclaration d’un état d’urgence dans l’État de Rivers par le président Bola Tinubu. Cette situation révèle non seulement des tensions internes au sein du gouvernement local, mais elle soulève également des questions profondes sur la gouvernance, la démocratie et l’avenir économique d’un pays dont l’histoire est marquée par des coups d’État militaires et un manque de stabilité politique.

### Un contexte d’autoritarisme à l’ancienne ?

La décision du président Tinubu a été accueillie avec des critiques acerbes, notamment du Nigerian Bar Association, qui a qualifié la suspension du gouverneur Siminalayi Fubara et des élus de « illégale ». Cette réaction n’est pas sans rappeler d’autres moments sombres de l’histoire nigériane, où des mesures d’urgence ont été utilisées comme un prétexte pour restreindre les pouvoirs locaux au profit du pouvoir central. À l’instar de la déclaration d’état d’urgence en 2013 sous la présidence de Goodluck Jonathan, cette situation pourrait ouvrir la porte à un retour aux pratiques autoritaires, sapant ainsi les acquis démocratiques fragiles du pays.

### Une crise multidimensionnelle

La chaîne de problèmes à Rivers n’est pas uniquement politique. Elle est également économique et sociale. Le vandalisme des pipelines, causant des perte financières significatives pour un pays dont l’économie repose largement sur le pétrole, met en lumière les défis de la sécurité et de l’infrastructure. La situation s’est détériorée dans un contexte où la demande énergétique mondiale augmente et où le Nigeria aspire à renforcer son statut de premier producteur de pétrole en Afrique.

Il est intéressant d’examiner les chiffres. En 2022, le Nigeria a produit environ 1,2 million de barils de pétrole par jour. Le vandalisme des installations, surtout dans la région du Delta du Niger, a entraîné des pertes de près de 10 milliards de dollars en revenus potentiels, selon des rapports gouvernementaux. En parallèle, l’instabilité politique a un impact direct sur la confiance des investisseurs étrangers, ce qui pourrait encore aggraver les difficultés économiques dans un pays, où près de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

### L’avenir de la démocratie nigériane

L’état d’urgence n’est pas seulement un outil de gouvernance, mais aussi un miroir de l’état d’esprit d’une nation. Alors que le Nigeria célèbre une décennie de démocratie (du moins sur le papier), les récentes actions gouvernementales montrent que les fragilités de cette démocratie peuvent être exploitées pour rétablir l’ordre dans une situation chaotique, mais aussi pour étouffer les voix dissidentes.

Le contexte actuel de Rivers soulève la question de l’importance de la bonne gouvernance. Le président Tinubu, face à la crise, se positionne comme un leader omniprésent, prêt à déployer des solutions rapides pour redresser la situation. Néanmoins, ce type de gouvernance par l’autoritarisme peut conduire à un rejet populaire, exacerbant ainsi les tensions civiles et culturellement ancrées dans la région.

### Vers une nationalisation du conflit ?

L’inquiétude est palpable quant à une possible nationalisation du conflit à Rivers. Avec des personnalités politiques puissantes et des intérêts privés en jeu, la lutte pour le contrôle des ressources pétrolières pourrait renforcer les camps en opposition. Qui plus est, la montée de groupes séparatistes, tels que les MEND (Mouvement pour l’Émancipation du Delta du Niger), pourrait être exacerbée par cette instabilité, transformant des disputes politiques en conflits armés.

### Conclusion : Une occasion manquée pour le dialogue

En fin de compte, la situation actuelle dans l’État de Rivers, bien qu’elle mette en lumière la nécessité d’un leadership fort face à des crises, souligne également le besoin urgent d’un dialogue inclusif. Plutôt que de suspendre les gouverneurs et de déployer l’armée, le gouvernement pourrait envisager des mesures visant à renforcer la transparence, la responsabilité et l’engagement des citoyens dans le processus politique, des étapes essentielles pour bâtir une démocratie résiliente.

En regardant au-delà des turbulences immédiates, l’avenir du Nigeria dépendra de sa capacité à transformer cette crise politique en une opportunité pour résoudre des problèmes structurels, pour garantir une meilleure gouvernance, et pour reconstruire la confiance entre le gouvernement et le peuple. Dans cette quête, la vérité et la justice doivent primer, car ce ne sont pas seulement les ressources du pays qui sont en jeu, mais également l’âme même de sa démocratie.