**L’intelligence artificielle et le journalisme en République Démocratique du Congo : Réflexions à l’issue de la seconde journée du colloque du LARSICOM**
Le colloque organisé par le LARSICOM le 9 mai dernier a mis en lumière des enjeux cruciaux liés à l’intersection entre le journalisme et le développement des technologies d’intelligence artificielle (IA). Réunissant des chercheurs venus de divers horizons à travers la République Démocratique du Congo (RDC), cet événement a été marqué par la diversité des points de vue et la volonté collective de réfléchir sur l’avenir de la profession journalistique dans un contexte en pleine mutation.
Le thème central, « Le journalisme face à l’intelligence artificielle, entre méfiance et révérence », révèle une tension palpable dans le milieu : l’essor des outils d’IA soulève des inquiétudes sur la qualité et l’authenticité des contenus produits. La méfiance exprimée à l’égard de ces technologies repose souvent sur des expériences passées de désinformation et sur la crainte d’une déshumanisation du journalisme. Jeannot Lubamba, un chercheur de l’Université de Mbuji-Mayi, a illustré ce point en mettant en garde contre une confiance aveugle, notamment dans les traductions automatiques en langues locales telles que le Tshiluba. Il defiende ainsi l’idée que les journalistes doivent adapter et retravailler les textes générés par l’IA pour préserver la nuance et la sensibilité culturelle, aux risques contraires d’introduire des erreurs ou des malentendus qui pourraient nuire à la compréhension.
À l’opposé, Fidèle Kitsa, intervenant de Goma, a encouragé une intégration plus audacieuse de l’IA dans le processus d’information. Dans des contextes difficiles, comme celui de la ville volcanique, l’IA peut offrir des outils précieux permettant d’accélérer la diffusion des informations cruciales. Ce paradoxe entre l’utilisation de l’IA et la nécessité d’une approche humaine et contextualisée représente un défi de taille pour les professionnels du secteur.
Tharcisse Cifinga, de l’Université de Lubumbashi, a plaidé pour un équilibre entre les forces de l’IA et le journalisme traditionnel. Sa proposition de “synergie intelligente” entre ces deux domaines évoque l’idée que, loin de se remplacer, ils pourraient se compléter mutuellement. Mais cette approche exige une préparation adéquate des journalistes afin qu’ils soient en mesure d’exploiter ces technologies tout en garantissant la véracité et l’intégrité des informations diffusées.
Bruno Nsaka, de l’Unisic, a également souligné que le rapport humain au sein du journalisme ne peut être remplacé par l’IA. Observer, ressentir et raconter une expérience vécue par un journaliste sur le terrain apporte une profondeur et une authenticité que la machine ne peut reproduire. Cette dimension humaine est d’autant plus importante dans un pays tel que la RDC, où des événements divers, comme les inondations à Kinshasa, peuvent avoir des impacts sur des populations vulnérables.
Par ailleurs, le professeur Jean Chrétien Ekambo a réintroduit une perspective historique en plaçant l’IA dans le long continuum des évolutions technologiques en matière de communication. Sa réflexion nous invite à considérer que la résistance ou la méfiance face à une technologie nouvelle n’est pas inédite dans le parcours de l’humanité. En ce sens, l’IA pourrait être perçue comme un outil supplémentaire pour réduire les distances et dynamiser le traitement de l’information, tout en gardant à l’esprit les risques qui l’accompagnent.
Enfin, Allegra Mossay a insisté sur la nécessité de solides normes éthiques et déontologiques pour encadrer l’usage de l’IA dans le journalisme. En l’absence d’un cadre éthique, la méfiance du public ne peut que croître. La déontologie doit évoluer pour intégrer ces nouvelles réalités technologiques, un processus qui nécessite la collaboration des journalistes, des régulateurs et des chercheurs.
Cette journée a été riche en échanges et témoignages, soulignant non seulement les défis, mais également les opportunités que présente l’IA dans le paysage journalistique congolais. La réflexion collective est une première étape essentielle pour bâtir un avenir dans lequel le journalisme peut coexister avec les avancées technologiques, tout en préservant son essence humaine et éthique. La route est semée d’embûches, mais la détermination des jeunes chercheurs à transcrire leurs préoccupations en actions concrètes et réfléchies pourrait bien être le moteur d’un changement nécessaire et réfléchi dans le domaine.
En somme, face à ces enjeux contemporains, est-il possible de trouver un équilibre harmonieux entre le progrès technologique et la préservation des valeurs journalistiques fondamentales ? Une question qui demeure centrale à l’heure de l’intelligence artificielle.