Dans une récente interview accordée à Vanguard’s Law & Human Rights, le Professeur Awa Kalu, avocat constitutionnel renommé, membre respecté du barreau et ancien Procureur Général de l’État d’Abia, a soulevé plusieurs questions fondamentales concernant la décision de la Cour Suprême du 11 juillet 2024 accordant l’autonomie financière aux 774 conseils locaux du pays.
Depuis sa prononciation le 11 juillet 2024, la décision de la Cour Suprême sur l’autonomie des conseils locaux a été largement saluée par les parties prenantes. Cependant, près de trois mois après cette décision, il apparaît que celle-ci reste pour l’instant un tigre de papier. Comment réagissez-vous à cela ?
Il est vrai que de nombreuses personnes qui n’ont pas saisi les bases constitutionnelles de la décision l’ont louée. Ces éloges sont basés sur leur compréhension de la décision et de la constitution. Ils peuvent la louer à leur guise. Vous avez mentionné que la décision semble être un tigre de papier. Oui, elle doit l’être, dans la mesure où elle prétend outrepasser ce que la Constitution de 1999 de la République Fédérale du Nigeria prévoit expressément. Elle restera un tigre de papier si elle l’est déjà devenue.
Ce avec quoi je ne suis pas d’accord dans la décision, c’est la tentative de bifurquer l’intégralité de l’intention des rédacteurs de la constitution dans l’Article 162 de la Constitution de 1999. Car ce que la Cour Suprême a fait dans sa décision est de dégrader le mot « doit » dans les paragraphes de la constitution qui concernent l’État, tout en conservant le « doit » dans les paragraphes qui concernent le Gouvernement Fédéral.
Pour illustrer, l’Article 162 (1) stipule que la Fédération doit tenir un compte spécial appelé « le Compte de la Fédération » dans lequel seront versées toutes les recettes perçues par le Gouvernement de la Fédération, à l’exception des recettes de l’impôt sur le revenu personnel des membres des Forces Armées de la Fédération, de la Police du Nigéria, du Ministère ou du Département du Gouvernement chargé des affaires étrangères et des résidents du Territoire de la Capitale Fédérale, Abuja.
L’Article 162 (3) prévoit que tout montant crédité sur le Compte de la Fédération doit être réparti entre le Gouvernement Fédéral, les États et les Conseils Locaux dans chaque État selon des modalités et une procédure établies par l’Assemblée Nationale.
L’Article 162 (4) énonce que tout montant crédité aux États dans le compte de la Fédération doit être réparti entre les États selon des modalités et une procédure établies par l’Assemblée Nationale, tandis que l’Article 162 (5) stipule que « le montant crédité aux conseils locaux dans le Compte de la Fédération doit également être alloué aux États au profit de leurs conseils locaux selon des modalités et une procédure établies par l’Assemblée Nationale.
L’Article 162 (6) précise que « chaque État doit tenir un compte spécial appelé Fonds Commun aux Conseils Locaux » dans lequel seront versées toutes les allocations aux conseils locaux de l’État provenant du Compte de la Fédération et du Gouvernement de l’État.
La Cour Suprême, dans sa décision, a maintenu « doit » comme étant obligatoire dans les sections concernant le Gouvernement Fédéral, mais n’a pas fait de même pour les sous-sections applicables aux gouvernements des États.
Que pensez-vous que la Cour Suprême aurait dû faire ?
La Cour Suprême aurait dû interpréter l’Article 162 de manière cohérente. Autrement dit, elle aurait dû interpréter « doit » en ce qui concerne les sous-sections affectant les gouvernements des États de la même manière qu’elle l’a interprété pour les sous-sections concernant le Gouvernement Fédéral.
En d’autres termes, l’Article 162 concerne l’appropriation des recettes au Gouvernement Fédéral ainsi qu’aux gouvernements des États. En cherchant à séparer le gouvernement fédéral des États, la décision tente de traiter le gouvernement fédéral comme un gouvernement à part et d’examiner les gouvernements des États différemment en termes d’utilisation du mot « doit ». Le mot « doit » est obligatoire. Ainsi, le « doit » concernant les sous-sections relatives au gouvernement fédéral a été séparé du « doit » s’appliquant aux sous-sections liées aux États.
Alors que la Cour Suprême elle-même a déclaré que dans l’interprétation de toute section de la constitution contenant des sous-sections, les sous-sections doivent être interprétées de manière uniforme. Ainsi, si vous examinez l’Article 162, il comporte des sous-sections. Certaines d’entre elles (sous-sections) concernent les recettes appartenant au Gouvernement Fédéral, tandis que certaines sous-sections, en particulier à partir de la sous-section 5, concernent les recettes appartenant aux États. Et la Cour Suprême a interprété les sections s’appliquant au Gouvernement Fédéral en tant que « doit » et a déclaré que vous pouvez utiliser « doit » à la place de « peut » ou interpréter « doit » comme « peut » dans les sous-sections s’appliquant aux États. Ainsi, ils ont créé cette dichotomie, et c’est là que réside mon désaccord.
En termes clairs et sans contester l’autorité de la Cour suprême, il est crucial d’examiner en profondeur les principes constitutionnels sur lesquels repose cette décision et de veiller à ce que l’interprétation des lois soit cohérente et uniforme. C’est une question centrale à laquelle les acteurs juridiques et politiques doivent prêter une attention particulière pour garantir la primauté du droit et la stabilité institutionnelle dans la nation.
Dans le contexte actuel, il est impératif que les enjeux constitutionnels soulevés par cette décision soient examinés de manière approfondie afin de promouvoir la transparence, la responsabilité et l’équité dans la gestion des ressources publiques