Le monde de l’extraction minière au Sénégal révèle un paradoxe saisissant : la pauvreté dans une terre aurifère. La région de Kédougou incarne ce contraste frappant, où la richesse en or côtoie la précarité quotidienne.
Kédougou, et plus précisément la mine de Sabodala, a exporté l’année dernière plus de la moitié des 17 tonnes d’or du pays. Pourtant, les services de base font défaut dans cette même région.
Ahmad Dame Seck, directeur de l’école de Dindefelo à Kédougou, souligne que l’exploitation de l’or laisse la population confrontée à la pollution, sans pour autant lui apporter de réels bénéfices. Les jeunes diplômés se retrouvent souvent au chômage, peinant à trouver leur place dans le secteur informel ou n’hésitant pas à migrer vers l’Europe, malgré la machine à cash que représente l’extraction aurifère dans la région.
Endeavour Mining, une société basée au Royaume-Uni qui a acquis la mine de Sabodala en 2021, a réalisé un bénéfice d’au moins 598 millions de dollars depuis. Dans ses derniers états financiers, la société valorise la mine à plus de 2,5 milliards de dollars, tout en gérant des actifs miniers au Burkina Faso, au Mali et en Côte d’Ivoire, valorisés à près de 3 milliards de dollars.
Endeavour Mining garde 90 % des profits de ses opérations sénégalaises, qu’elle partage bien entendu avec ses actionnaires. Le gouvernement sénégalais récupère les 10 % restants.
Des accords d’extraction des ressources inéquitables sont l’une des raisons pour lesquelles le Sénégal peine à générer suffisamment de revenus pour assurer le bon fonctionnement du pays. Lorsque les caisses de l’État sont vides, celui-ci se tourne vers les marchés financiers internationaux pour emprunter de l’argent. Ironie amère, il fait souvent appel aux mêmes firmes qui captent la majeure partie des revenus de l’industrie aurifère du pays.
Une nouvelle analyse réalisée par The Continent révèle que 40 % des actions d’Endeavour Mining sont détenues par 17 sociétés d’investissement qui spéculent également sur les obligations souveraines du Sénégal. Le gouvernement sénégalais leur doit ainsi plus de 271 millions de dollars.
Lorsque le Sénégal paye les intérêts annuels sur ces obligations, allant jusqu’à 7,75 % selon les notes de ces obligations, les sociétés qui tirent déjà une grande partie des bénéfices de l’or sénégalais profitent de la détresse financière du pays.
Cette dynamique, où l’on enrichit des acteurs pour ensuite leur emprunter de l’argent, se répète dans de nombreux pays.
Les États africains ont émis des dizaines d’obligations internationales, empruntant au moins 84 milliards de dollars auprès de grandes firmes d’investissement telles que BlackRock, Fidelity, HSBC et Schwab.
Ces mêmes firmes possèdent souvent des millions de dollars d’actions dans les multinationales exploitant les ressources locales.
Les prêts des créanciers privés, dont les obligations font partie, sont souvent les plus contraignants en matière de dette nationale. Les taux d’intérêt sont élevés, il n’y a pas de période de grâce et les prêteurs ne tiennent compte que des marchés financiers. Lorsque les États ne parviennent pas à régler les intérêts, cela peut entraîner un chaos économique.
La Zambie, le Ghana et l’Éthiopie n’ont pas pu payer les intérêts de leurs obligations après que la pandémie de Covid et d’autres chocs économiques ont contrecarré la croissance que cet argent emprunté était censé stimuler.
Ces défauts de paiement ont poussé leurs dirigeants à se tourner vers le Fonds monétaire international pour demander des renflouements, qui exigent des changements économiques drastiques tels que la dévaluation des monnaies nationales et l’augmentation des impôts. La douleur engendrée par ces changements a parfois provoqué des manifestations populaires, parfois meurtrières, et toujours coûteuses pour les économies locales.
Pourtant, les gouvernements africains continuent d’accumuler ce type de dette.
Selon les données de l’agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, les gouvernements africains devaient plus de 777 milliards de dollars à des créanciers privés à la fin de 2023. Les créanciers privés détiennent désormais environ 44 % de la dette étrangère nationale de l’Afrique, contre 30 % en 2010.
Ce risque n’est pas réparti de manière équitable. Les pays à revenu intermédiaire sont souvent exclus des prêts à faible taux d’intérêt des institutions telles que la Banque mondiale et ont donc davantage recours aux créanciers privés.
Cependant, l’engouement pour cette voie risquée n’est pas uniforme. En Afrique du Sud et en Angola, les prêts des créanciers privés représentent respectivement 88 % et 78 % de la dette nationale. Pour l’Algérie et le Botswana, c’est négligeable, même si leur santé économique est comparable.
À long terme, si le gouvernement sénégalais a plus de chance que la Zambie, le Ghana et l’Éthiopie n’en ont eu, il devrait générer suffisamment de revenus pour payer régulièrement les intérêts des obligations jusqu’à ce que son propre secteur des ressources contribue de manière significative aux recettes intérieures.
À court terme, cependant, les personnes qui profitent de ce secteur et des paiements d’intérêts ne sont pas le citoyen sénégalais moyen.
Cet article a été publié pour la première fois dans The Continent, le journal hebdomadaire panafricain réalisé en partenariat avec le Mail & Guardian. Il est conçu pour être lu et partagé sur WhatsApp. Téléchargez votre exemplaire gratuit ici.