La montée des hommes forts en Afrique : vers un avenir démocratique incertain

Fatshimetrie

L’Afrique est le théâtre d’une évolution politique inquiétante, où les démocraties glissent progressivement vers l’autoritarisme et parfois même le totalitarisme, sous l’emprise de dirigeants forts, les « hommes forts ». Ce phénomène s’accompagne de troubles civils et de changements gouvernementaux contraires à la constitution.

Malgré l’expérience de taux de chômage élevés, de violations des droits de l’homme, d’inégalités flagrantes, de corruption à grande échelle, d’impunité généralisée, de dépréciation monétaire, d’absence de constitutionalisme et de règne de la loi, les populations soutiennent souvent ces hommes forts, que ce soit par angélisme ou par complicité.

En Ouganda, par exemple, une grande partie de la population rurale a été conditionnée à considérer les hommes forts comme étant les seuls capables de diriger le pays, niant ainsi la possibilité d’un leadership civil, représenté notamment par des personnalités politiques de l’opposition telles que Bobi Wine, alias Kyagulanyi Robert Sentamu. Cette hégémonie des hommes forts s’appuie sur la manipulation des émotions populaires, la faible participation civique, l’élitisme politique, la peur, la pauvreté, l’illettrisme et l’abus du droit et de la démocratie.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est la sous-estimation des menaces et des conséquences négatives à long terme de ce phénomène des hommes forts, lié au populisme, sur la démocratie, le développement durable, la paix, la justice pour tous et la stabilité institutionnelle.

L’ascension des leaders de guérilla en Afrique dans les années 1970, 1980 et 1990, qui ont renversé les gouvernements en place peu après l’indépendance, a posé les fondations pour l’émergence des hommes forts, d’abord présentés comme des libérateurs avant de devenir présidents.

L’Ouganda, sous l’égide de Yoweri Museveni depuis près de 40 ans, représente un exemple concret de ce phénomène, tout comme la Guinée équatoriale dirigée par Teodoro Obiang Nguema, le Cameroun par Paul Biya, l’Érythrée par Isaias Afwerki ou encore la République du Congo par Denis Sassou Nguesso.

Il est essentiel de tirer des leçons des erreurs passées, notamment dans des pays comme le Zaïre, la Somalie, la Libye ou lors du Printemps arable, et de comprendre que l’Afrique ne peut se permettre de bâtir des hommes forts plutôt que des institutions démocratiques solides.

Le trait le plus distinctif d’un homme fort est sa glorification du pouvoir de l’armée et sa personnalisation des institutions militaires et gouvernementales. Par la répression, les hommes forts cherchent à démontrer leur supériorité face à leurs opposants.

En Ouganda, les leaders de l’opposition sont souvent arrêtés à l’approche des élections. Bobi Wine a par exemple été arrêté en novembre 2020, tout comme Kizza Besigye en 2011 à son retour d’exil en Afrique du Sud.

Le régime de l’homme fort exploite la peur en ayant recours à l’armée et à des groupes miliciens pour arrêter, torturer voire enlever des citoyens. Cette peur instaurée chez la population rurale engendre un sentiment d’impuissance, de silence, de compromission politique et un soutien contraint envers l’homme fort.

L’idéologie des hommes forts est associée aux coups d’État, aux lois draconiennes limitant la liberté et les droits des citoyens, menaçant la démocratie.

La répression, à travers la réduction des espaces civiques, la restriction de la liberté de la presse et des médias indépendants, ainsi que la limitation du droit à la dissidence lors des cycles électoraux, s’oppose aux principes fondamentaux de la démocratie.

Il est crucial que les défenseurs de la démocratie soutiennent financièrement la société civile et les médias pour mener des programmes d’éducation sur la démocratie et ses processus.

Une pression des institutions internationales telles que l’ONU et l’Union africaine, à travers des dialogues politiques de haut niveau, est nécessaire pour contrer les effets dévastateurs de l’autoritarisme et du totalitarisme.

La démocratie, en tant que logiciel de bonne gouvernance, doit être le critère essentiel pour tous les États membres de l’Union africaine.

Robert Kigongo, défenseur de la démocratie en soutien aux réformateurs et analyste du développement durable.